| | Autres poémes | |
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sylvie Bien
Nombre de messages : 5126 Date d'inscription : 29/08/2006
| Sujet: Re: Autres poémes Mar 20 Nov - 22:54 | |
| AUTRE POEMES
À M. Félix Guillemardet sur sa maladie 1837
Frère, le temps n’est plus où j’écoutais mon âme Se plaindre et soupirer comme une faible femme Qui de sa propre voix soi-même s’attendrit, Où par des chants de deuil ma lyre intérieure Allait multipliant, comme un écho qui pleure, Les angoisses d’un seul esprit.
Dans l’être universel au lieu de me répandre, Pour tout sentir en lui, tout souffrir, tout comprendre, Je resserrais en moi l’univers amoindri?; Dans l’égoïsme étroit d’une fausse pensée La douleur, en moi seul par l’orgueil condensée, Ne jetait à Dieu que mon cri.
Ma personnalité remplissait la nature?: On eût dit qu’avant elle aucune créature N’avait vécu, souffert, aimé, perdu, gémi?: Que j’étais à moi seul le mot du grand mystère, Et que toute pitié du ciel et de la terre Dût rayonner sur ma fourmi?!
Pardonnez-moi, mon Dieu?! tout homme ainsi commence. Le retentissement universel, immense, Ne fait vibrer d’abord que ce qui sent en lui?; De son être souffrant l’impression profonde, Dans sa neuve énergie, absorbe en lui le monde Et lui cache les maux d’autrui.
Comme Pygmalion contemplait sa statue Et promenant sa main sous sa mamelle nue Pour savoir si ce marbre enferme un coeur humain, L’humanité pour lui n’est qu’un bloc sympathique Qui, comme la Vénus du statuaire antique Ne palpite que sous sa main.
Ô honte?! ô repentir?! quoi?! cet être éphémère, Qui gémit en sortant du ventre de sa mère, Croirait tout étouffer sous le bruit d’un seul coeur?? Hâtons-nous d’expier cette erreur d’un insecte, Et, pour que Dieu l’écoute et l’ange le respecte, Perdons nos voix dans le grand choeur?!
Jeune, j’ai partagé le délire et la faute, J’ai crié ma misère, hélas?! à voix trop haute?: Mon âme s’est brisée avec son propre cri?! De l’univers sensible atome insaisissable, Devant le grand soleil j’ai mis mon grain de sable, Croyant mettre un monde à l’abri.
Puis mon coeur, moins sensible à ses propres misères, S’est élargi plus tard aux douleurs de mes frères?; Tous leurs maux ont coulé dans le lac de mes pleurs, Et, comme un grand linceul que la pitié déroule, L’âme d’un seul, ouverte aux plaintes de la foule, A gémi toutes les douleurs.
Alors dans le grand tout mon âme répandue A fondu, faible goutte au sein des mers perdue Que roule l’Océan, insensible fardeau, Mais où l’impulsion sereine ou convulsive, Qui de l’abîme entier de vague en vague arrive, Palpite dans la goutte d’eau.
Alors, par la vertu, la pitié m’a fait homme?; J’ai conçu la douleur du nom dont on le nomme, J’ai sué sa sueur et j’ai saigné son sang? Passé, présent, futur, ont frémi sur ma fibre, Comme vient retentir le moindre son qui vibre Sur un métal retentissant.
Alors j’ai bien compris par quel divin mystère Un seul coeur incarnait tous les maux de la terre, Et comment, d’une croix jusqu’à l’éternité, Du cri du Golgotha la tristesse infinie Avait pu contenir seule assez d’agonie Pour exprimer l’humanité?!
Alors j’ai partagé, bien avant ma naissance, Ce pénible travail de sa lente croissance Par qui sous le soleil grandit l’esprit humain, Semblable au rude effort du sculpteur sur la pierre, Qui mutile cent fois le bloc dans la carrière Avant qu’il vive sous sa main.
Saint-Point, 15 septembre 1837. | |
| | | sylvie Bien
Nombre de messages : 5126 Date d'inscription : 29/08/2006
| Sujet: Re: Autres poémes Mar 20 Nov - 22:54 | |
| madame Desbordes-Valmore
Souvent sur les mers où se joue La tempête aux ailes de feu, Je voyais passer sur ma proue Le haut mât que le vent secoue, Et pour qui la vague est un jeu !
Ses voiles ouvertes et pleines Aspiraient le souffle des flots, Et ses vigoureuses antennes Balançaient sur les vertes plaines Ses ponts chargés de matelots.
La lame en vain dans la carrière Battait en grondant ses sabords. Il la renvoyait en poussière, Comme un coursier sème en arrière La blanche écume de son mors!
Longue course à l’heureux navire ! Disais-je ; en trois bonds il a fui ! La vaste mer est son empire, Son horizon n’a que sourire, Et l’univers est devant lui !
Mais, d’une humble voile sur l’onde, Si je distinguais la blancheur, Esquif que chaque lame inonde, Seule demeure qu’ait au monde Le foyer flottant du pécheur ;
Lorsqu’au soir sur la vague brune, La suivant du coeur et de l’oeil, Je m’attachais à sa fortune, Et priais les vents et la lune De la défendre de l’écueil ;
Sous une voile dont l’orage En lambeaux déroulait les plis, Je voyais le frêle équipage Disputer son mât qui surnage Aux coups des vents et du roulis.
Debout, le père de famille Labourait les flots divisés ; Le fils manoeuvrait, et la fille Recousait avec son aiguille La voile ou les filets usés.
Des enfants, accroupis sur l’âtre, Soufflaient la cendre du matin, Et déjà la flamme bleuâtre Égayait le couple folâtre De l’espoir d’un frugal festin.
Appuyée au mât qui chancelle, Et que sa main tient embrassé, La mère les couvait de l’aile, Et suspendait à sa mamelle Le plus jeune à son cou bercé.
Ils n’ont, disais-je, dans la vie Que cette tente et ces trésors ; Ces trois planches sont leur patrie, Et cette terre en vain chérie Les repousse de tous ses bords !
En vain de palais et d’ombrage Ce golfe immense est couronné. Ils n’ont pour tenir au rivage Que l’anneau, rongé par l’orage, De quelque môle abandonné !
Ils n’ont pour fortune et pour joie Que les refrains de leurs couplets, L’ombre que la voile déploie, La brise que Dieu leur envoie, Et ce qui tombe des filets !
Cette pauvre barque, ô Valmore, Est l’image de ton destin. La vague, d’aurore en aurore, Comme elle te ballotte encore Sur un océan incertain !
Tu ne bâtis ton nid d’argile Que sous le toit du passager, Et, comme l’oiseau sans asile, Tu vas glanant de ville en ville Les miettes du pain étranger.
Ta voix enseigne avec tristesse Des airs de fête à tes petits, Pour qu’attendri de leur faiblesse, L’oiseleur les épargne, et laisse Grandir leurs plumes dans les nids !
Mais l’oiseau que ta voix imite T’a prêté sa plainte et ses chants, Et plus le vent du nord agite La branche où ton malheur s’abrite, Plus ton âme a des cris touchants !
Du poète c’est le mystère : Le luthier qui crée une voix Jette son instrument à terre, Foule aux pieds, brise comme un verre L’oeuvre chantante de ses doigts ;
Puis, d’une main que l’art inspire, Rajustant ces fragments meurtris, Réveille le son et l’admire, Et trouve une voix à sa lyre Plus sonore dans ses débris ! . . .
Ainsi le coeur n’a de murmures Que brisé sous les pieds du sort ! L’âme chante dans les tortures, Et chacune de ses blessures Lui donne un plus sublime accord !
Sur la lyre où ton front s’appuie Laisse donc résonner tes pleurs ! L’avenir, du barde est la vie, Et les pleurs que la gloire essuie Sont le seul baume à ses douleurs ! | |
| | | sylvie Bien
Nombre de messages : 5126 Date d'inscription : 29/08/2006
| Sujet: Re: Autres poémes Mar 20 Nov - 22:55 | |
| Poèmes Des Voyages en Orient.
Vers pour Melle Malagamba
Fontaine au bleu miroir, quand sur ton vert rivage La rêveuse Lilla dans l'ombre vient s'asseoir, Et sur tes flots penchée y jette son image, Comme au golfe immobile une étoile du soir,
D'un mobile frisson tes flots dormants se plissent, On n'en voit plus le fond de sable ou de roseaux ; Mais de charme et de jour tes ondes se remplissent, Et l'oeil ne cherche plus son ciel que dans tes eaux !
Tu n'es plus qu'un reflet de ravissantes choses, Yeux bleus comme ces fleurs qui bordent ton bassin, Dents de nacre riant entre des lèvres roses, Globes qu'un souffle pur soulève avec le sein,
Cheveux nattés de fleurs et que leur poids fait pendre, Anneaux qui de ses doigts relèvent le carmin, Perles brillant sous l'onde et que l'on croit y prendre, Comme son sable d'or, en y plongeant la main.
Ma main s'étend sur toi, source où cette ombre nage, De peur que par le vent tout ne soit effacé ; Et mes lèvres voudraient, jalouses du rivage, Boire ces flots heureux où l'image a passé !
Mais quand Lilla, riant, se lève et suit sa mère, Ce n'est plus qu'un peu d'eau dans un bassin obscur. Je goûte en vain les flots du doigt ; l'onde est amère, Et la vase et l'insecte en ternissent l'azur.
Eh bien ! Ce que tu fais pour ces flots, jeune fille, Sur mon âme à jamais la beauté le produit : Il y fait joie et jour tant que son oeil y brille ; Dès que son oeil se voile, hélas ! Il y fait nuit.
Gethsémani ou la mort de Julia
Je fus dès la mamelle un homme de douleur ; Mon coeur, au lieu de sang, ne roule que des larmes ; ou plutôt de ces pleurs Dieu m'a ravi les charmes, Il a pétrifié les larmes dans mon coeur. L'amertume est mon miel, la tristesse est ma joie ; Un instinct fraternel m'attache à tout cercueil ; Nul chemin ne m'arrête, à moins que je n'y voie Quelque ruine ou quelque deuil !
Si je vois des champs verts qu'un ciel pur entretienne, De doux vallons s'ouvrant pour embrasser la mer, Je passe, et je me dis avec un rire amer : Place pour le bonheur, hélas ! Et non la mienne ! Mon esprit n'a d'écho qu'où l'on entend gémir ; Partout où l'on pleura mon âme a sa patrie : Une terre de cendre et de larmes pétrie Est le lit où j'aime à dormir.
Demandez-vous pourquoi ? Je ne pourrais le dire : De cet abîme amer je remûrais les flots, Ma bouche pour parler n'aurait que des sanglots. Mais déchirez ce coeur, si vous voulez y lire ! La mort dans chaque fibre a plongé le couteau ; Ses battements ne sont que lentes agonies, Il n'est plein que de morts comme des gémonies ; Toute mon âme est un tombeau !
Or, quand je fus aux bords où le Christ voulut naître, Je ne demandai pas les lieux sanctifiés Où les pauvres jetaient les palmes sous ses piés, Où le verbe à sa voix se faisait reconnaître, Où l'Hosanna courait sur ses pas triomphants, Où sa main, qu'arrosaient les pleurs des saintes femmes, Essuyant de son front la sueur et les flammes, Caressait les petits enfants :
Conduisez-moi, mon père, à la place où l'on pleure, A ce jardin funèbre où l'homme de salut, Abandonné du père et des hommes, voulut Suer le sang et l'eau qu'on sue avant qu'on meure ! Laissez-moi seul, allez ; j'y veux sentir aussi Ce qu'il tient de douleur dans une heure infinie : Homme de désespoir, mon culte est l'agonie ; Mon autel à moi, c'est ici !
Il est, au pied poudreux du jardin des olives, Sous l'ombre des remparts d'où s'écroula Sion, Un lieu d'où le soleil écarte tout rayon, Où le Cédron tari filtre entre ses deux rives : Josaphat en sépulcre y creuse ses coteaux ; Au lieu d'herbe, la terre y germe des ruines, Et des vieux troncs minés les traînantes racines Fendent les pierres des tombeaux.
Là, s'ouvre entre deux rocs la grotte ténébreuse Où l'homme de douleur vint savourer la mort, Quand, réveillant trois fois l'amitié qui s'endort, Il dit à ses amis : "Veillez ; l'heure est affreuse ! " La lèvre, en frémissant, croit encore étancher Sur le pavé sanglant les gouttes du calice, Et la moite sueur du fatal sacrifice Sue encore aux flancs du rocher.
Le front dans mes deux mains, je m'assis sur la pierre, Pensant à ce qu'avait pensé ce front divin, Et repassant en moi, de leur source à leur fin, Ces larmes dont le cours a creusé ma carrière. Je repris mes fardeaux et je les soulevai ; Je comptai mes douleurs, mort à mort, vie à vie ; Puis dans un songe enfin mon âme fut ravie. Quel rêve, grand dieu, je rêvai !
J'avais laissé non loin, sous l'aile maternelle, Ma fille, mon enfant, mon souci, mon trésor. Son front à chaque été s'accomplissait encor ; Mais son âme avait l'âge où le ciel les rappelle : Son image de l'oeil ne pouvait s'effacer, Partout à son rayon sa trace était suivie, Et, sans se retourner pour me porter envie, Nul père ne la vit passer.
C'était le seul débris de ma longue tempête, Seul fruit de tant de fleurs, seul vestige d'amour, Une larme au départ, un baiser au retour, Pour mes foyers errants une éternelle fête ; C'était sur ma fenêtre un rayon de soleil, Un oiseau gazouillant qui buvait sur ma bouche, Un souffle harmonieux la nuit près de ma couche, Une caresse à mon réveil !
C'était plus : de ma mère, hélas ! C'était l'image ; Son regard par ses yeux semblait me revenir, Par elle mon passé renaissait avenir, Mon bonheur n'avait fait que changer de visage ; Sa voix était l'écho de dix ans de bonheur, Son pas dans la maison remplissait l'air de charmes, Son regard dans mes yeux faisait monter les larmes, Son sourire éclairait mon coeur.
Son front se nuançait à ma moindre pensée, Toujours son bel oeil bleu réfléchissait le mien ; Je voyais mes soucis teindre et mouiller le sien, Comme dans une eau claire une ombre est retracée, Mais tout ce qui montait de son coeur était doux, Et sa lèvre jamais n'avait un pli sévère Qu'en joignant ses deux mains dans les mains de sa mère, Pour prier Dieu sur ses genoux !
Je rêvais qu'en ces lieux je l'avais amenée, Et que je la tenais belle sur mon genou, L'un de mes bras portant ses pieds, l'autre son cou ; Ma tête sur son front tendrement inclinée. Ce front, se renversant sur le bras paternel, Secouait l'air bruni de ses tresses soyeuses ; Ses dents blanches brillaient sous ses lèvres rieuses, Qu'entr'ouvrait leur rire éternel.
Pour me darder son coeur et pour puiser mon âme, Toujours vers moi, toujours ses regards se levaient, Et dans le doux rayon dont mes yeux la couvraient, Dieu seul peut mesurer ce qu'il brillait de flamme. Mes lèvres ne savaient d'amour où se poser ; Elle les appelait comme un enfant qui joue, Et les faisait flotter de sa bouche à sa joue, Qu'elle dérobait au baiser !
Et je disais à Dieu, dans ce coeur qu'elle enivre : " Mon dieu ! Tant que ces yeux luiront autour de moi, Je n'aurai que des chants et des grâces pour toi : Dans cette vie en fleurs c'est assez de revivre. Va, donne-lui ma part de tes dons les plus doux, Effeuille sous mes pas ses jours en espérance, Prépare-lui sa couche, entr'ouvre-lui d'avance Les bras enchaînés d'un époux ! "
Et, tout en m'enivrant de joie et de prière, Mes regards et mon coeur ne s'apercevaient pas Que ce front devenait plus pesant sur mon bras, Que ses pieds me glaçaient les mains, comme la pierre. " Julia ! Julia ! D'où vient que tu pâlis ? Pourquoi ce front mouillé, cette couleur qui change ? Parle-moi, souris-moi ! Pas de ces jeux, mon ange ! Rouvre-moi ces yeux où je lis ! "
Mais le bleu du trépas cernait sa lèvre rose, Le sourire y mourait à peine commencé, Son souffle raccourci devenait plus pressé, Comme les battements d'une aile qui se pose. L'oreille sur son coeur, j'attendais ses élans ; Et quand le dernier souffle eut enlevé son âme, Mon coeur mourut en moi comme un fruit que la femme Porte mort et froid dans ses flancs !
Et sur mes bras roidis portant plus que ma vie, Tel qu'un homme qui marche après le coup mortel, Je me levai debout, je marchai vers l'autel, Et j'étendis l'enfant sur la pierre attiédie, Et ma lèvre à ses yeux fermés vint se coller ; Et ce front déjà marbre était tout tiède encore, Comme la place au nid d'où l'oiseau d'une aurore Vient à peine de s'envoler !
Et je sentis ainsi, dans une heure éternelle, Passer des mers d'angoisse et des siècles d'horreur, Et la douleur combla la place où fut mon coeur ; Et je dis à mon dieu : " mon Dieu, je n'avais qu'elle ! Tous mes amours s'étaient noyés dans cet amour ; Elle avait remplacé ceux que la mort retranche ; C'était l'unique fruit demeuré sur la branche Après les vents d'un mauvais jour.
C'était le seul anneau de ma chaîne brisée, Le seul coin pur et bleu dans tout mon horizon ; Pour que son nom sonnât plus doux dans la maison, D'un nom mélodieux nous l'avions baptisée. C'était mon univers, mon mouvement, mon bruit, La voix qui m'enchantait dans toutes mes demeures, Le charme ou le souci de mes yeux, de mes heures ; Mon matin, mon soir et ma nuit ;
Le miroir où mon coeur s'aimait dans son image, Le plus pur de mes jours sur ce front arrêté, Un rayon permanent de ma félicité, Tous tes dons rassemblés, seigneur, sur un visage ; Doux fardeau qu'à mon cou sa mère suspendait, Yeux où brillaient mes yeux, âme à mon sein ravie, Voix où vibrait ma voix, vie où vivait ma vie, Ciel vivant qui me regardait.
Eh bien ! Prends, assouvis, implacable justice, D'agonie et de mort ce besoin immortel ; Moi-même je l'étends sur ton funèbre autel. Si je l'ai tout vidé, brise enfin mon calice ! Ma fille, mon enfant, mon souffle ! La voilà ! La voilà ! J'ai coupé seulement ces deux tresses Dont elle m'enchaînait hier dans ses caresses, Et je n'ai gardé que cela ! "
Un sanglot m'étouffa, je m'éveillai. La pierre Suintait sous mon corps d'une sueur de sang ; Ma main froide glaçait mon front en y passant ; L'horreur avait gelé deux pleurs sous ma paupière. Je m'enfuis : l'aigle au nid est moins prompt à courir. Des sanglots étouffés sortaient de ma demeure L'amour seul suspendait pour moi sa dernière heure : Elle m'attendait pour mourir !
Maintenant tout est mort dans ma maison aride, Deux yeux toujours pleurant sont toujours devant moi ; Je vais sans savoir où, j'attends sans savoir quoi ; Mes bras s'ouvrent à rien, et se ferment à vide. Tous mes jours et mes nuits sont de même couleur ; La prière en mon sein avec l'espoir est morte. Mais c'est Dieu qui t'écrase, ô mon âme ! sois forte, Baise sa main sous la douleur ! | |
| | | sylvie Bien
Nombre de messages : 5126 Date d'inscription : 29/08/2006
| Sujet: Re: Autres poémes Mar 20 Nov - 22:56 | |
| Vers écrits à Balbek
Mystérieux déserts, dont les larges collines Sont les os des cités dont le nom a péri ; Vastes blocs qu'a roulés le torrent des ruines ; Immense lit d'un peuple où la vague a tari ; Temples qui, pour porter vos fondements de marbre, Avez déraciné les grands monts comme un arbre ; Gouffres où rouleraient des fleuves tout entiers ; Colonnes où mon oeil cherche en vain des sentiers ; De piliers et d'arceaux profondes avenues, Où la lune s'égare ainsi qu'au sein des nues ; Chapiteaux que mon oeil mêle en les regardant ; Sur l'écorce du globe immenses caractères, pour vous toucher du doigt, pour sonder vos mystères, Un homme est venu d'occident !
La route, sur les flots, que sa nef a suivie A déplié cent fois ses roulants horizons ; Aux gouffres de l'abîme il a jeté sa vie ; Ses pieds se sont usés sur les pointes des monts ; Les soleils ont brûlé la toile de sa tente ; Ses frères, ses amis ont séché dans l'attente ; Et s'il revient jamais, son chien même incertain Ne reconnaîtra plus ni sa voix ni sa main : Il a laissé tomber et perdu dans la route L'étoile de son oeil, l'enfant qui, sous sa voûte, Répandait la lumière et l'immortalité : Il mourra sans mémoire et sans postérité ! Et maintenant, assis sur la vaste ruine, Il n'entend que le vent qui rend un son moqueur ; Un poids courbe son front, écrase sa poitrine : Plus de pensée et plus de coeur ! | |
| | | sylvie Bien
Nombre de messages : 5126 Date d'inscription : 29/08/2006
| Sujet: Re: Autres poémes Mar 20 Nov - 22:56 | |
| LE CLOWN. ( de Patricia Poupart )
Pour tous les éclats de rire, Que tu as su recueillir, Je voudrais te rendre hommage, Car tu as atteint tous les âges.
Tu as maquillé ton visage, Pour monter sur scène avec rage. Tu n'as pas peur du ridicule, Avec tes grands yeux d'hercule.
Tu as aspiré ta fleur, Pour humer toute l'odeur, Un jet d'eau en est sorti. Devant nos yeux ébahis.
Tu sais aussi faire pleuvoir des joues, Et arrêter de faire le fou. Pour nous dire bonsoir, Et terminer dans le noir.
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| | | sylvie Bien
Nombre de messages : 5126 Date d'inscription : 29/08/2006
| Sujet: Re: Autres poémes Mar 20 Nov - 22:57 | |
| La tristesse du Diable
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Silencieux, les poings aux dents, le dos ployé, Enveloppé du noir manteau de ses deux ailes, Sur un pic hérissé de neiges éternelles, Une nuit s'arrêta l'antique foudroyé.
La terre prolongeait en bas, immense et sombre, Les continents battus par la houle des mers; Au-dessus flamboyait le ciel plein d'univers; Mais Lui ne regardait que l'abîme de l'ombre.
Il était la dardant ses yeux ensanglantés, Dans ce gouffre où la vie amasse ses tempêtes, Ou le fourmillement des hommes et des bêtes Pullule sous le vol des siècles irrités.
Il entendait monter les hosannas serviles, Le cri des égorgeurs, les Te Deum des rois, L'appel désespéré des nations en croix Et des justes râlant sur le fumier des villes
Ce lugubre concert du mal universel, Aussi vieux que le monde et que la race humaine, Plus fort, plus acharné, plus ardent que sa haine, Tourbillonnait autour du sinistre immortel.
Il remonta d'un bond vers les temps insondables Où sa gloire allumait le céleste matin Et, devant la stupide horreur de son destin Un grand frisson courut dans ses reins formidables.
Et se tordant les bras, et crispant ses orteils, Lui, le premier rêveur, la plus vieille victime, Il cria par delà l'immensité sublime Ou déferle en brûlant l'écume des soleils;
-Les monotones jours, comme une horrible pluie, S'amassent, sans l'emplir, dans mon éternité; Force, orgueil, désespoir, tout n'est que vanité; Et la fureur me pèse, et le combat m'ennuie.
Presque autant que l'amour la haine m'a menti: J'ai bu toute la mer des larmes infécondes. Tombez, écrasez-moi, foudres, monceaux des mondes Dans le sommeil sacré que je sois englouti!
Et les lâches heureux, et les races damnées, Par l'espace éclatant qui n'a ni fond ni bord, Entendront une Voix disant: Satan est mort! Et ce sera ta fin, Oeuvre des six journées!-
Leconte De Lisle
La vision de Snorr | |
| | | sylvie Bien
Nombre de messages : 5126 Date d'inscription : 29/08/2006
| Sujet: Re: Autres poémes Mar 20 Nov - 22:58 | |
| O mon Seigneur Christus! hors du monde charnel Vous m'avez envoyé vers les neuf maisons noires; Je me suis enfoncé vers les antres de Hel.
Dans la nuit sans aurore où grincent les mâchoires, Quand j'y songe, la peur aux entrailles me mord! J'ai vu l'éternité des maux expiatoires.
Me voici revenu, tout blême, comme un mort. Seigneur Dieu, prenez-moi, par grâce, en votre garde. Et si je fais le mal, donnez-m'en le remords.
Le prince des Brasiers est là qui me regarde, Vêtu de flamme bleue et rouge. Il est assis Dans le palais infect qui suinte et se lézarde.
Il siège en la grand salle aux murs visqueux, noircis, Où filtre goutte à goutte une bave qui fume, Et d'où tombent des noeuds de reptiles moisis.
Au-dessus du malin sur qui pleut cette écume, Tournoie avec un haut vacarme, un Dragon roux Qui bat de l'envergure au travers de la brume.
En bas, gît le marais des Lâches, des Jaloux, Des Hypocrites vils, des Fourbes, des Parjures. Ils grouillent dans la boue et creusent des remous,
Ils geignent, bossués de pustules impures. Serait-ce là, Seigneur, leur expiation, D'être un vomissement en ce lieu de souillures?
Sur des quartiers de roc toujours en fusion, Muets, sont accoudés les Sept convives mornes, Les sept Diable royaux du vieux Septentrion.
Ainsi que les héros buvaient à pleines cornes L'hydromel prodigué pour le festin guerrier, Quand les Skaldes chantaient sur la Harpe des Nornes;
Les sept démons qu'enfin vous vîntes châtier, En des cruches de plomb qui corrodent leur bouches, Puisent des pleurs bouillants au fond d'un noir cuvier.
Auprès, les bras roidis, les yeux caves et louches, Broyant d'épais cailloux sous des meules d'airain, Tournent en haletant les trois Vierges farouches.
Leur coeur pend au dehors et saigne de chagrin, Tant leurs labeurs sont durs et leurs peines ingrates; Car nul ne peut manger la farine du grain.
Autour d'elles pourtant, courent à quatre pattes Les Avares, aux reins de maigreur écorchés, Tels que des loups tirant des langues écarlates.
Puis, sur des lits de pourpre ardente sont couchés, Non plus ivres enfin de leurs voluptés vaines, Les Languissants, au joug de la chair attachés.
Leurs fronts sont couronnés de flambantes verveines; Mais, tandis que leur couche échauffe et cuit leurs flancs, L'amer et froid dégoût coagule leurs veines.
Voici ceux qui tuaient, jadis, les Violents, Les Féroces, blottis au creux de quelque gorge, Qui, la nuit, guettaient l'homme et se ruaient hurlants.
Maintenant, l'un s'endort;l'autre en sursaut l'égorge. Le misérable râle et le sang par jets prompts, Sort, comme du tonneau le jus mousseux de l'orge.
Et ceux qui, sur l'autel où nous vous adorons, Ont déchirés la nappe et bus dans vos calices Et sur vos serviteurs fait pleuvoir les affronts,
Qui nous ont enterrés vivants, dans nos cilices, Qui de la sainte étole ont serré notre cou, Pour ceux-là Le Malin épuise les supplices.
Enfin, je vois le Peuple antique, aveugle et fou, La race qui vécut avant votre lumière, Seigneur! et qui marchait, hélas! sans savoir où.
Tels qu'un long tourbillon de vivante poussière, Le même vent d'erreur les remuent au hasard, Et le soleil du Diable éblouit leur paupière.
Or, vous nous avez fait, certes, la bonne part, A nous qui gémissons sur cette terre inique; Mais pour les anciens morts vous êtes venus tard!
Donc, chacun porte au front une lettre Runique Qui change sa cervelle en un charbon fumant, Car il n'a point connu la loi du fils unique!
Ainsi, gêne sur gêne et tourment sur tourment, Carcans de braise, habits de feu, fourches de flammes, Tout cela, tout cela dure éternellement.
Dans les antres de Hel, dans les cercles infâmes, Voilà ce que j'ai vu par votre volonté, O sanglant Rédempteur de nos mauvaises âmes!
Souvenez-vous de Snorr dans votre éternité!
Leconte De Lisle
Le dernier souvenir | |
| | | sylvie Bien
Nombre de messages : 5126 Date d'inscription : 29/08/2006
| Sujet: Re: Autres poémes Mar 20 Nov - 22:58 | |
| J'ai vécu, je suis mort. -Les yeux ouverts, je coule Dans l'incommensurable abîme, sans rien voir, Lent comme une agonie et lourd comme une foule.
Inerte, blême, au fond d'un lugubre entonnoir Je descends d'heure en heure et d'année en année, A travers le Muet, l'Immobile, le Noir.
Je songe et ne sens plus. L'épreuve est terminée. Qu-est-ce donc que la vie? Etais-je jeune ou vieux? Soleil, Amour! - Rien, rien. Va chair abandonnée!
Tournoie, enfonce, va! le vide est dans tes yeux, Et l'oubli s'épaissit et t'absorbe à mesure. Si je rêvais! Non, non je suis bien mort. Tant mieux.
Mais ce spectre, ce cri, cette horrible blessure? Cela dut m'arriver en des temps très anciens. O nuit! Nuit du néant, prends-moi! -La chose est sure:
Quelqu'un m'a dévoré le coeur. Je me souviens.
Leconte De Lisle
Le soir d'une bataille
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| | | sylvie Bien
Nombre de messages : 5126 Date d'inscription : 29/08/2006
| Sujet: Re: Autres poémes Mar 20 Nov - 22:58 | |
| Tels que la haute mer contre les durs rivages, A la grande tuerie ils se sont tous rués, Ivres et haletants, par les boulets troués, En d'épais tourbillons plein de clameurs sauvages.
Sous un large soleil d'été, de l'aube au soir, Sans relâche, fauchant les blés, brisant les vignes, Longs murs d'hommes, ils ont poussés leurs sombres lignes Et là, par blocs entiers, ils se sont laissés choir.
Puis ils se sont liés en étreintes féroces, Le souffle au souffle uni, l'oeil de haine chargé. Le fer d'un sang fiévreux à l'aise s'est gorgé; La cervelle a jailli sous la lourdeur des crosses.
Victorieux, vaincus, fantassins, cavaliers, Les voici, maintenant, blêmes, muets farouches, Les poings fermés serrant les dents, et les yeux louches, Dans la mort furieuse étendus par milliers.
La pluie avec lenteur lavant leurs pâles faces, Aux pentes du terrain fait murmurer ses eaux; Et par la morne plaine ou tourne un vol d'oiseaux Le ciel d'un soir sinistre estompe au loin leurs masses
Tous les cris se sont tus, les râles sont poussés Sur le sol bossué de tant de chair humaine, Aux dernières lueurs du jour on voit à peine Se tordre vaguement des corps entrelacés;
Et là-bas, au milieu de ce massacre immense, Dressant son cou roidi percé de coups de feu, Un cheval jette au vent un rauque et triste adieu Que la nuit fait courir à travers le silence.
O boucherie! o soif du meurtre! acharnement Horrible! odeur des morts qui suffoquent et navres! Soyez maudits devant ces cent mille cadavres Et la stupide horreur de cet égorgement.
Mais, sous l'ardent soleil ou sur la plaine noire, Si, heurtant de leur coeur la gueule du canon, Ils sont morts, Liberté, ces braves, en ton nom, Béni soit le sang pur qui fume vers ta gloire!
Leconte De Lisle
Les éléphants
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| | | sylvie Bien
Nombre de messages : 5126 Date d'inscription : 29/08/2006
| Sujet: Re: Autres poémes Mar 20 Nov - 22:59 | |
| Le sable rouge est comme une mer sans limite, Et qui flambe, muette, affaissée en son lit. Une ondulation immobile remplit L'horizon aux vapeurs de cuivre où l'homme habite.
Nulle vie et nul bruit. Tous les lions repus Dorment au fond de l'antre éloigné de cent lieues; Et la girafe boit dans les fontaines bleues, Là-bas, sous les dattiers des panthères connus.
Pas un oiseau ne passe en fouettant de son aile L'air épais ou circule un immense soleil. Parfois quelque boa, chauffé dans son sommeil, Fait onduler son dos où l'écaille étincelle.
Tel l'espace enflammé brûlé sous les cieux clairs, Mais, tandis que tout dort aux mornes solitudes, Les éléphants rugueux, voyageurs lents et rudes, Vont au pays natal à travers les déserts.
D'un point de l'horizon, comme des masses brunes, Ils viennent, soulevant la poussière, et l'on voit, Pour ne point dévier du chemin le plus droit, Sous leur pied large et sur crouler au loin les dunes.
Celui qui tient la tête est un vieux chef. Son corps Est gercé comme un tronc que le temps ronge et mine; Sa tête est comme un roc et l'arc de son échine Se voûte puissamment à ses moindres efforts.
Sans ralentir jamais et sans hâter sa marche, Il guide au but certain ses compagnons poudreux Et, creusant par derrière un sillon sablonneux, Les pèlerins massifs suivent leur patriarche.
L'oreille en éventail, la trompe entre les dents, Ils cheminent, l'oeil clos. Leur ventre bat et fume, Et leur sueur dans l'air embrasé monte en brume, Et bourdonnent autour mille insectes ardents.
Mais qu'importent la soif et la mouche vorace, Et le soleil cuisant leur dos noir et plissé? Ils rêvent en marchant du pays délaissé, Des forêts de figuiers où s'abrita leur race.
Ils reverront le fleuve échappé des grands monts, Ou nage en mugissant l'hippopotame énorme, Où, blanchis par la lune et projetant leur forme, Ils descendaient pour boire en écrasant les joncs.
Aussi, pleins de courage et de lenteur, ils passent Comme une ligne noire, au sable illimité; Et le désert reprend son immobilité Quand les lourds voyageurs à l'horizon s'effacent.
Leconte De Lisle | |
| | | sylvie Bien
Nombre de messages : 5126 Date d'inscription : 29/08/2006
| Sujet: Re: Autres poémes Mar 20 Nov - 22:59 | |
| Petits poèmes japonais. ( HAÏKU )...
Une fleur tombée remonte de sa branche Non, c'est un papillon. ( Moritake )
Sous un voile de lune Ombre de fleur Ombre de femme. ( Sôseki Natsume. 1867-1916 )
Le serpent s'esquiva Mais le regard qu'il me lança Resta dans l'herbe. ( Kyishi )
Une herbe folle en fleurs En entendant son nom Je la vis d'une autre façon. ( Teiji )
Une grappe de raisin Travail d'un homme Plaisir d'un autre. ( Inconnu )
Je soutiens l'homme qui autrefois Me portait dans ses bras. ( Inconnu ) | |
| | | sylvie Bien
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| Sujet: Re: Autres poémes Mar 20 Nov - 23:00 | |
| INTIMES...
Je n'ai envie que de t'aimer Un orage emplit la vallée Un poisson la rivière
Je t'ai faite à la taille de ma solitude.
Le monde entier pour se cacher Des jours des nuits pour se comprendre Pour ne plus rien voir dans tes yeux
Ce que je pense de toi C'est d'un monde à ton image Et des jours et des nuits réglés par tes paupières.
( Paul Eluard. 1895-1952 ) | |
| | | sylvie Bien
Nombre de messages : 5126 Date d'inscription : 29/08/2006
| Sujet: Re: Autres poémes Mar 20 Nov - 23:00 | |
| Sur ce lit de roseaux puis-je dormir encore ? ...
Sur ce lit de roseaux puis-je dormir encore ? Je sens l' air embaumé courir autour de toi ; Ta bouche est une fleur dont le parfum dévore : Approche, ô mon trésor, et ne brûle que moi. Eveille, éveille-toi !
Mais ce souffle d' amour, ce baiser que j' envie, Sur tes lèvres encor je n' ose le ravir ; Accordé par ton coeur, il doublera ma vie. Ton sommeil se prolonge, et tu me fais mourir : Je n' ose le ravir.
Viens, sous les bananiers nous trouverons l' ombrage. Les oiseaux vont chanter en voyant notre amour. Le soleil est jaloux, il est sous un nuage, Et c' est dans tes yeux seuls que je cherche le jour : Viens éclairer l' amour.
Non, non, tu ne dors plus, tu partages ma flamme ; Tes baisers sont le miel qui nous donnent les fleurs. Ton coeur a soupiré, viens-tu chercher mon âme ? Elle erre sur ma bouche et veut sécher tes pleurs. Cache-moi sous des fleurs.
Marceline DESBORDES-VALMORE | |
| | | sylvie Bien
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| Sujet: Re: Autres poémes Mar 20 Nov - 23:00 | |
| Elle se penche sur moi...
Elle se penche sur moi Le coeur ignorant Pour voir si je l'aime
Elle a confiance elle oublie Sous les nuages de ses paupières Sa tête s'endort dans mes mains Où sommes-nous
Ensemble, inséparables Vivants vivants Vivant vivante Et ma tête roule en ses rêves
Paul Éluard (1895-1952) | |
| | | sylvie Bien
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| Sujet: Re: Autres poémes Mar 20 Nov - 23:00 | |
| A la belle impérieuse...
L'amour, panique de la raison, Se communique par le frisson.
Laissez-moi dire, , n'accordez rien. Si je soupire, chantez, c'est bien.
Si je demeure triste, à vos pieds, Et si je pleure, c'est bien riez.
Un homme semble souvent trompeur Mais si je tremble, belle, ayez peur.
( Victor Hugo. 1802-1885 ) | |
| | | sylvie Bien
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| Sujet: Re: Autres poémes Mar 20 Nov - 23:01 | |
| La Pervenche
Pâle fleur, timide pervenche Je sais la place où tu fleuris, Au pied des monts, ton front se penche Pour mieux charmer nos yeux épris ! C'est dans un sentier qui se cache Sous ses deux bords de noisetiers Où pleut, sur l'ombre qu'elle tache La neige des blancs églantiers
Une source tout près palpite Où s'abreuve le merle noir ; Il y chante et moi je médite Souvent de l'aube jusqu'au soir. O fleur ! que tu en dis des choses A mon amour, quand je reviens, Quand tu me parles à lèvres closes, Et que mon coeur écoute le tien...
( Alphonse de Lamartine.1790-1869 ) | |
| | | sylvie Bien
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| Sujet: Re: Autres poémes Mar 20 Nov - 23:01 | |
| Aimer...
Aimer c'est un soleil dans la vie Une étoile qui nous guide dans la nuit Une mélodie sans bruit...
L'amour...
L'amour c'est comme une fleur Qui réunis parfum et couleur C'est ce qui fait brûler dans nos coeurs Passion et douceur...
( D. Chekchak ) | |
| | | sylvie Bien
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| Sujet: Re: Autres poémes Mar 20 Nov - 23:02 | |
| Il n'y a pas d'amour heureux
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Rien n'est jamais acquis à l'homme Ni sa force Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix Et quand il croit serrer son bonheur il le broie Sa vie est un étrange et douloureux divorce Il n'y a pas d'amour heureux
Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes Qu'on avait habillés pour un autre destin A quoi peut leur servir de se lever matin Eux qu'on retrouve au soir désoeuvrés incertains Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes Il n'y a pas d'amour heureux
Mon bel amour mon cher amour ma déchirure Je te porte dans moi comme un oiseau blessé Et ceux-là sans savoir nous regardent passer Répétant après moi les mots que j'ai tressés Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent Il n'y a pas d'amour heureux
Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l'unisson Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare Il n'y a pas d'amour heureux
Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri Et pas plus que de toi l'amour de la patrie Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs Il n'y a pas d'amour heureux Mais c'est notre amour à tous les deux
Louis Aragon (La Diane Francaise, Seghers 1946) | |
| | | sylvie Bien
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| Sujet: Re: Autres poémes Mar 20 Nov - 23:02 | |
| LES ROSES DE SAADI...
J'ai voulu ce matin te rapporter des roses ; Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closes Que les noeuds trop serrés n'ont pu les contenir.
Les noeuds ont éclaté. Les roses envolées Dans le vent, à la mer s'en sont toutes allées, Elles ont suivi l'eau pour ne plus revenir ;
La vague en a paru rouge et comme enflammée. Ce soir, ma robe encore en est toute embaumée... Respires-en sur moi l'odorant souvenir.
( Marceline Desbordes-Valmore...1786-1859 ) | |
| | | sylvie Bien
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| Sujet: Re: Autres poémes Mar 20 Nov - 23:02 | |
| SOIR SUR LA TERRASSE...
Nous sommes seuls ; puisque tu m'aimes, J'aurai peur si je vois tes yeux ; Evitons la douceur suprême ; Ne restons pas silencieux.
La terrasse est comme un navire ; Qu'il fait chaud sur la mer ce soir ; On meurt de soif et l'on respire L'ombre noir du jardin noir.
Les aloès fleuris s'élancent , Ecarte de moi si tu peux Tous ces parfums, tous ces silences, Qui s'accumulent peu à peu ;
On entend rire sur la place, Je sens, à tes yeux, que tu crois Que ce sont des corps qui s'enlacent ; Ce soir, tout est désir pour toi.
L'ôcre odeur des filets de pêche Pénètre l'humble nuit qui dort. Sur ma main pose ta main fraîche Pour que je puisse vivre encore.
( Anna de Noailles. 1876-1933 ) | |
| | | sylvie Bien
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| Sujet: Re: Autres poémes Mar 20 Nov - 23:04 | |
| Je te l'ai dit...
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Je te l'ai dit pour les nuages Je te l'ai dit pour l'arbre de la mer Pour chaque vague pour les oiseaux dans les feuilles Pour les cailloux du bruit Pour les mains familières Pour l'oeil qui devient visage ou paysage Et le sommeil lui rend le ciel de sa couleur Pour toute la nuit bue Pour la grille des routes Pour la fenêtre ouverte pour un front découvert Je te l'ai dit pour tes pensées pour tes paroles Toute caresse toute confiance se survivent.
Paul Éluard
L'amoureuse
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Elle est debout sur mes paupières Et ses cheveux sont dans les miens, Elle a la forme de mes mains, Elle a la couleur de mes yeux, Elle s'engloutit dans mon ombre Comme une pierre sur le ciel.
Elle a toujours les yeux ouverts Et ne me laisse pas dormir. Ses rêves en pleine lumière Font s'évaporer les soleils, Me font rire, pleurer et rire, Parler sans avoir rien à dire.
Paul Éluard
Pour se prendre au piège
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C'est un restaurant comme les autres. Faut-il croire que je ne ressemble à personne ? Une grande femme, à côté de moi, bat des oeufs avec ses doigts. Un voyageur pose ses vêtements sur une table et me tient tête. Il a tort, je ne connais aucun mystère, je ne sais même pas la signification du mot : mystère, je n'ai jamais rien cherché, rien trouvé, il a tort d'insister. L'orage qui, par instants, sort de la brume me tourne les yeux et les épaules. L'espace a alors des portes et de fenêtres. Le voyageur me déclare que je ne suis plus le même. Plus le même ! Je ramasse les débris de toutes mes merveilles. C'est la grande femme qui m'a dit que ce sont des débris de merveilles, ces débris. Je les jette aux ruisseaux vivaces et pleins d'oiseaux. La mer, la calme mer est entre eux comme le ciel dans la lumière. Les couleurs aussi, si l'on me parle des couleurs, je ne regarde plus. Parlez-moi des formes, j'ai grand besoin d'inquétude. Grande femme, parle-moi des formes, ou bien je m'endors et je mène la grande vie, les mains prises dans la tête et la tête dans la bouche, dans la bouche bien close, langage intérieur.
Paul Éluard (Mourir de ne pas mourir) | |
| | | sylvie Bien
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| Sujet: Re: Autres poémes Mar 20 Nov - 23:05 | |
| La tristesse de la lune...
Ce soir, la lune rêve avec plus de paresse; Ainsi qu'une beauté, sur de nombreux coussins, Qui d'une main distraite et légère caresse Avant de s'endormir le contour de ses seins,
Sur le dos satiné des molles avalanches, Mourante, elle se livre aux longues pâmoisons, Et promène ses yeux sur les visions blanches Qui montent dans l'azur comme des floraisons.
Quand parfois sur ce globe, en sa langueur oisive, Elle laisse filer une larme furtive, Un poète pieux, ennemi du sommeil,
Dans le creux de sa main prend cette larme pâle, Aux reflets irisés comme un fragment d'opale, Et la met dans son cœur loin des yeux du sommeil.
( Charles Baudelaire )
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| | | sylvie Bien
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| Sujet: Re: Autres poémes Mer 21 Nov - 13:42 | |
| Vers à danser
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Que ce soit dimanche ou lundi Soir ou matin minuit midi Dans l'enfer ou le paradis Les amours aux amours ressemblent C'était hier que je t'ai dit Nous dormirons ensemble
C'était hier et c'est demain Je n'ai plus que toi de chemin J'ai mis mon coeur entre tes mains Avec le tien comme il va l'amble Tout ce qu'il a de temps humain Nous dormirons ensemble
Mon amour ce qui fut sera Le ciel est sur nous comme un drap J'ai refermé sur toi mes bras Et tant je t'aime que j'en tremble Aussi longtemps que tu voudras Nous dormirons ensemble
Louis Aragon (Le fou d'Elsa) | |
| | | sylvie Bien
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| Sujet: Re: Autres poémes Mer 21 Nov - 13:42 | |
| Plainte pour le quatrième centenaire d'un amour
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L'amour survit aux revers de nos armes Linceul d'amour à minuit se découd Les diamants naissent au fond des larmes L'avril encore éclaire l'époque où S'étend sur nous cette ombre aux pieds d'argile Jeunesse peut rêver la corde au cou Elle oublia Charles-Quint pour Virgile Les temps troublés se ressemblent beaucoup Abandonnant le casque et la cantine Ces jeunes gens qui n'ont jamais souri L'esprit jaloux des paroles latines Qu'ont-ils appris qu'ils n'auront désappris Ces deux enfants dans les buissons de France Ressemblent l'Ange et la Vierge Marie Il sait par coeur Tite-Live et Térence Quand elle chante on dirait qu'elle prie Je l'imagine Elle a les yeux noisette Je les aurai pour moi bleus préférés Mais ses cheveux sont roux comme vous êtes O mes cheveux adorés et dorés Je vois la Saône et le Rhône s'éprendre Elle de lui comme eux deux séparés Il la regarde et le soleil descendre Elle a seize ans et n'a jamais pleuré Les bras puissants de ces eaux qui se mêlent C'est cet amour qu'ils ne connaissent pas Qu'ils rêvaient tous deux Olivier comme Elle Lui qu'un faux amour à Cahors trompa Vêtu de noir comme aux temps d'aventure Les paladins fiancés aux trépas Ceux qui portaient à la table d'Arthur Le deuil d'aimer sans refermer leurs bras Quel étrange nom la Belle Cordière Sa bouche est rouge et son corps enfantin Elle était blanche ainsi que le matin Lyon Lyon n'écoute pas la Saône Trop de noyés sont assis au festin Ah que ces eaux sont boueuses et jaunes Comment pourrais-je y lire mon destin Je chanterai cet amour de Loyse Qui fut soldat comme Jeanne à seize ans Dans ce décor qu'un regard dépayse Qui défera ses cheveux alezan Elle avait peur que la nuit fût trop claire Elle avait peur que le vin fût grisant Elle avait peur surtout de lui déplaire Sur la colline où fuyaient les faisans N'aimes tu pas le velours des mensonges Il est des fleurs que l'on appelle pensées J'en ai cueilli qui poussaient dans mes songes J'en ai pour toi des couronnes tressé Ils sont entrés dans la chapelle peinte Et sacrilège il allait l'embrasser La foudre éclate et brûle aux yeux la sainte Le toit se fend les murs sont renversés Ce coup du ciel à jamais les sépare Rien ne refleurira ces murs noircis Et dans nos coeurs percés de part en part Qui sarclera les fleurs de la merci Ces fleurs couleurs de Saône au coeur de l'homme Ce sont les fleurs qu'on appelle soucis Olivier de Magny se rend à Rome Et Loyse Labé demeure ici Quatre cents ans les amants attendirent Comme pêcheurs à prendre le poisson Quatre cents ans et je reviens leur dire Rien n'est changé ni nos coeurs ne le sont C'est toujours l'ombre et toujours la mal'heure Sur les chemins déserts où nous passons France et l'Amour les mêmes larmes pleurent Rien ne finit jamais par des chansons
Louis Aragon | |
| | | sylvie Bien
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| Sujet: Re: Autres poémes Mer 21 Nov - 13:43 | |
| Est-ce ainsi que les hommes vivent (adaptation de Léo Ferré)
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Tout est affaire de décor Changer de lit changer de corps À quoi bon puisque c'est encore Moi qui moi-même me trahis Moi qui me traîne et m'éparpille Et mon ombre se déshabille Dans les bras semblables des filles Où j'ai cru trouver un pays.
Coeur léger coeur changeant coeur lourd Le temps de rêver est bien court Que faut-il faire de mes jours Que faut-il faire de mes nuits Je n'avais amour ni demeure Nulle part où je vive ou meure Je passais comme la rumeur Je m'endormais comme le bruit.
C'était un temps déraisonnable On avait mis les morts à table On faisait des châteaux de sable On prenait les loups pour des chiens Tout changeait de pôle et d'épaule La pièce était-elle ou non drôle Moi si j'y tenais mal mon rôle C'était de n'y comprendre rien
Est-ce ainsi que les hommes vivent Et leurs baisers au loin les suivent
Dans le quartier Hohenzollern Entre La Sarre et les casernes Comme les fleurs de la luzerne Fleurissaient les seins de Lola Elle avait un coeur d'hirondelle Sur le canapé du bordel Je venais m'allonger près d'elle Dans les hoquets du pianola.
Le ciel était gris de nuages Il y volait des oies sauvages Qui criaient la mort au passage Au-dessus des maisons des quais Je les voyais par la fenêtre Leur chant triste entrait dans mon être Et je croyais y reconnaître Du Rainer Maria Rilke.
Est-ce ainsi que les hommes vivent Et leurs baisers au loin les suivent.
Elle était brune elle était blanche Ses cheveux tombaient sur ses hanches Et la semaine et le dimanche Elle ouvrait à tous ses bras nus Elle avait des yeux de faïence Elle travaillait avec vaillance Pour un artilleur de Mayence Qui n'en est jamais revenu.
Il est d'autres soldats en ville Et la nuit montent les civils Remets du rimmel à tes cils Lola qui t'en iras bientôt Encore un verre de liqueur Ce fut en avril à cinq heures Au petit jour que dans ton coeur Un dragon plongea son couteau
Est-ce ainsi que les hommes vivent Et leurs baisers au loin les suivent.
Louis Aragon, (interprétation de Léo Ferré) | |
| | | sylvie Bien
Nombre de messages : 5126 Date d'inscription : 29/08/2006
| Sujet: Re: Autres poémes Mer 21 Nov - 13:43 | |
| J'arrive où je suis étranger
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Rien n'est précaire comme vivre Rien comme être n'est passager C'est un peu fondre comme le givre Et pour le vent être léger J'arrive où je suis étranger
Un jour tu passes la frontière D'où viens-tu mais où vas-tu donc Demain qu'importe et qu'importe hier Le coeur change avec le chardon Tout est sans rime ni pardon
Passe ton doigt là sur ta tempe Touche l'enfance de tes yeux Mieux vaut laisser basses les lampes La nuit plus longtemps nous va mieux C'est le grand jour qui se fait vieux
Les arbres sont beaux en automne Mais l'enfant qu'est-il devenu Je me regarde et je m'étonne De ce voyageur inconnu De son visage et ses pieds nus
Peu a peu tu te fais silence Mais pas assez vite pourtant Pour ne sentir ta dissemblance Et sur le toi-même d'antan Tomber la poussière du temps
C'est long vieillir au bout du compte Le sable en fuit entre nos doigts C'est comme une eau froide qui monte C'est comme une honte qui croît Un cuir à crier qu'on corroie
C'est long d'être un homme une chose C'est long de renoncer à tout Et sens-tu les métamorphoses Qui se font au-dedans de nous Lentement plier nos genoux
O mer amère ô mer profonde Quelle est l'heure de tes marées Combien faut-il d'années-secondes A l'homme pour l'homme abjurer Pourquoi pourquoi ces simagrées
Rien n'est précaire comme vivre Rien comme être n'est passager C'est un peu fondre comme le givre Et pour le vent être léger J'arrive où je suis étranger
Louis Aragon | |
| | | sylvie Bien
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| Sujet: Re: Autres poémes Mer 21 Nov - 13:44 | |
| LES REGRETS - Heureux qui comme Ulysse
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Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage Ou comme celui-là qui conquit la Toison, Et puis est retourné plein d'usage et raison, Vivre entre ses parents le reste de son âge!
Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village Fumer la cheminée, et en quelle saison Reverrai-je le clos de ma pauvre maison, Qui m'est une province et beaucoup davantage?
Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux, Que des palais romains le front audacieux, Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine.
Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin, Plus mon petit Liré que le mont Palatin, Et plus que l'air marin la douceur angevine.
Joachim du Bellay (1522-1560) | |
| | | sylvie Bien
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| Sujet: Re: Autres poémes Mer 21 Nov - 13:45 | |
| La Ballade des pendus
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Frères humains qui après nous vivez N'ayez les coeurs contre nous endurciz, Car, ce pitié de nous pauvres avez, Dieu en aura plus tost de vous merciz. Vous nous voyez ci, attachés cinq, six Quant de la chair, que trop avons nourrie, Elle est piéca devorée et pourrie, Et nous les os, devenons cendre et pouldre. De nostre mal personne ne s'en rie: Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre!
Se frères vous clamons, pas n'en devez Avoir desdain, quoy que fusmes occiz Par justice. Toutefois, vous savez Que tous hommes n'ont pas le sens rassiz; Excusez nous, puis que sommes transsis, Envers le filz de la Vierge Marie, Que sa grâce ne soit pour nous tarie, Nous préservant de l'infernale fouldre Nous sommes mors, ame ne nous harie; Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!
La pluye nous a débuez et lavez, Et le soleil desséchez et noirciz: Pies, corbeaulx nous ont les yeulx cavez Et arraché la barbe et les sourciz. Jamais nul temps nous ne sommes assis; Puis ca, puis là, comme le vent varie, A son plaisir sans cesser nous charie, Plus becquetez d'oiseaulx que dez à couldre. Ne soyez donc de nostre confrarie; Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!
Prince Jhésus, qui sur tous a maistrie, Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie: A luy n'avons que faire ne que souldre. Hommes, icy n'a point de mocquerie; Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!
François Villon | |
| | | sylvie Bien
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| Sujet: Re: Autres poémes Mer 21 Nov - 13:45 | |
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A Mademoiselle
Oui, femme, quoi qu'on puisse dire Vous avez le fatal pouvoir De nous jeter par un sourire Dans l'ivresse ou le désespoir.
Oui, deux mots, le silence même, Un regard distrait ou moqueur, Peuvent donner à qui vous aime Un coup de poignard dans le coeur.
Oui, votre orgueil doit être immense, Car, grâce a notre lâcheté, Rien n'égale votre puissance, Sinon, votre fragilité.
Mais toute puissance sur terre Meurt quand l'abus en est trop grand, Et qui sait souffrir et se taire S'éloigne de vous en pleurant.
Quel que soit le mal qu'il endure, Son triste sort est le plus beau. J'aime encore mieux notre torture Que votre métier de bourreau.
Alfred de Musset
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| | | sylvie Bien
Nombre de messages : 5126 Date d'inscription : 29/08/2006
| Sujet: Re: Autres poémes Mer 21 Nov - 13:45 | |
| Paul Verlaine
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Si tu le veux bien, divine Ignorante, Je ferai celui qui ne sait plus rien Que te caresser d'une main errante, En le geste expert du pire vaurien,
Si tu le veux bien, divine Ignorante.
Soyons scandaleux sans plus nous gêner Qu'un cerf et sa biche ès bois authentiques. La honte, envoyons-la se promener. Même exagérons et, sinon cyniques,
Soyons scandaleux sans plus nous gêner.
Surtout ne parlons pas littérature. Au diable lecteurs, auteurs, éditeurs Surtout ! Livrons-nous à notre nature Dans l'oubli charmant de toutes pudeurs,
Et, ô ! ne parlons pas littérature.
Jouir et dormir ce sera, veux-tu ? Notre fonction première et dernière, Notre seule et notre double vertu, Conscience unique, unique lumière,
Jouir et dormir, m'amante, veux-tu ? | |
| | | sylvie Bien
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| Sujet: Re: Autres poémes Mer 21 Nov - 13:46 | |
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L'homme et la mer
Homme libre, toujours tu chériras la mer! La mer est ton miroir, tu contemples ton âme Dans le déroulement infini de sa lame Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais a plonger au sein de ton image; Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur Se distrait quelquefois de sa propre rumeur Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets; Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes; O mer, nul ne connaît tes richesses intimes, Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets!
Et cependant voilà des siècles innombrables Que vous vous combattez sans pitié ni remords, Tellement vous aimez le et la mort, O lutteurs éternels, O frères implacables!
Charles Baudelaire
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| | | sylvie Bien
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| Sujet: Re: Autres poémes Mer 21 Nov - 13:46 | |
| Ballade et Pastourelle
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Aube
Quand Rossignol en amour Chante la nuit et le jour, Suis avec ma belle amie, Sous la fleur, Et le guetteur de la tour, S'écrie : Amants, levez vous, Voici l'Aube et le jour clair !
Pastourelle
Par amour je suis gai, Et tant que je vivrai, Ne me dédirai, Dame Joli-Corps
Me levai un beau matin, A pointe d'aubette, Je m'en fus dans un verger Cueillir la violette. De loin j'entendis Un chant bien plaisant, Trouvai jolie pastourelle Ses agneaux gardant.
Dieu vous garde, pastourelle, Couleur de rosette, De vous je m'étonne fort Que vous soyez seullette. Habits vous aurez, Si cela vous plaît, Bien menu lacé A filets d'argent.
Seriez vous fol, chevalier, Plein d'extravagance Car vous m'avez demandé Ce dont je n'ai cure, Père et mère j'ai Et mari j'aurai, Et si à Dieu plaît, M'honoreront bien.
Adieu, adieu, chevalier, Mon père m'appelle, Je le vois là qui laboure A bouefs sur l'artigue, Nous esmons blé, Aurons grand' récolte, Et si acceptez, Froment vous aurez.
Mais quand il la vit aller, Courut après elle, La prit par sa blanche main, La coucha dans l'herbe, Trois fois la baisa Sans qu'elle dît mot, Mais quand vint la quatrième : "Seigneur, à vous je me rends !"
Troubadours anonymes | |
| | | sylvie Bien
Nombre de messages : 5126 Date d'inscription : 29/08/2006
| Sujet: Re: Autres poémes Mer 21 Nov - 13:47 | |
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Correspondances
La nature est un temple où de vivants piliers Laissent parfois sortir de confuses paroles; L'homme y passe à travers des forêts de symboles Qui l'observent avec des regards familiers.
Comme des longs échos qui de loin se confondent Dans une ténébreuse et profonde unité, Vaste comme la nuit et comme la clarté, Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants, Doux comme des hautbois, verts comme des prairies, -Et d'autres corrompus, riches et triomphants,
Ayant l'expansion des choses infinies, Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens, Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.
Charles Baudelaire
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| | | sylvie Bien
Nombre de messages : 5126 Date d'inscription : 29/08/2006
| Sujet: Re: Autres poémes Mer 21 Nov - 13:47 | |
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Nuit rhénane
Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une flamme Écoutez la chanson lente d'un batelier Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu'à leurs pieds
Debout chantez plus haut en dansant une ronde Que je n'entende plus le chant du batelier Et mettez près de moi toutes les filles blondes Au regard immobile aux nattes repliées
Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent Tout l'or des nuits tombe en tremblant s'y refléter La voix chante toujours à en râle-mourir Ces fées aux cheveux verts qui incantent l'été
Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire
Guillaume Apollinaire
Dernière édition par le Ven 23 Nov - 21:52, édité 1 fois | |
| | | sylvie Bien
Nombre de messages : 5126 Date d'inscription : 29/08/2006
| Sujet: Re: Autres poémes Mer 21 Nov - 13:47 | |
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Simples Voeux Rustiques
A vous troupe légère Qui d'aile passagère Par le monde volez, Et d'un sifflant murmure L'ombrageuse verdure Doucement ébranlez, J'offre ces violettes, Ces lys et ces fleurettes, Et ces roses ici, Ces vermeillettes roses Tout fraîchement écloses Et ces oeillets aussi. De votre douce haleine Eventez cette plaine, Eventez ce séjour Cependant que j'ahanne A mon blé que je vanne A la chaleur du jour."
Joachim du Bellay (1525 - vers 1560)
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| | | sylvie Bien
Nombre de messages : 5126 Date d'inscription : 29/08/2006
| Sujet: Re: Autres poémes Ven 23 Nov - 21:53 | |
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| | | solène Bien
Nombre de messages : 8896 Date d'inscription : 31/08/2006
| Sujet: Re: Autres poémes Mer 28 Nov - 5:46 | |
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Tristesse
J'ai perdu ma force et ma vie, Et mes amis et ma gaieté; J'ai perdu jusqu'à la fierté Qui faisait croire à mon génie.
Quand j'ai connu la vérité, j'ai cru que c'était une amie; Quand je l'ai comprise et sentie, J'en ai été dégoûté.
Et pourtant elle est éternelle, Et ceux qui se sont passés d'elle Ici bas ont tout ignoré.
Dieu parle, il faut qu'on lui réponde. Le seul bien qui me reste au monde Est d'avoir quelques fois pleuré.
Alfred de Musset
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| | | Admin: Jackie Admin
Nombre de messages : 3234 Date d'inscription : 28/08/2006
| Sujet: Re: Autres poémes Jeu 29 Nov - 16:33 | |
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Ballade Des Dames Du Temps Jadis
Dites-moi où, n'en quel pays, Est Flora la belle Romaine, Archipiades, ni Thaïs, Qui fut sa cousine germaine, Écho parlant quand bruit on mène Dessus rivière ou sur étang, Qui beauté eut trop plus qu'humaine Mais où sont les neiges d'antan?
Où est la très sage Héloïs, Pour qui fut châtré et puis moine Pierre Abelard à Saint-Denis? Pour son amour eut cette essoine. Semblablement, où est la reine Qui commanda que Buridan Fut jeté en un sac en Seine? Mais où sont les neiges d'antan?
La reine Blanche comme lis Qui chantait à voix de sirène, Berthe au grand pied, Bietris, Alis, Haremburgis qui tint le Maine, Et Jeanne la bonne Lorraine Qu'Anglais brûlèrent à Rouen; Où sont-ils, où, Vierge souveraine? Mais où sont les neiges d'antan?
Prince, n'enquerrez de semaine Où elles sont, ni de cet an, Qu'à ce refrain ne vous remaine: Mais où sont les neiges d'antan?
François Villon
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| | | Admin: Jackie Admin
Nombre de messages : 3234 Date d'inscription : 28/08/2006
| Sujet: Re: Autres poémes Ven 30 Nov - 14:22 | |
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L'amoureuse
Elle est debout sur mes paupières Et ses cheveux sont dans les miens, Elle a la forme de mes mains, Elle a la couleur de mes yeux, Elle s'engloutit dans mon ombre Comme une pierre sur le ciel.
Elle a toujours les yeux ouverts Et ne me laisse pas dormir. Ses rêves en pleine lumière Font s'évaporer les soleils, Me font rire, pleurer et rire, Parler sans avoir rien à dire.
Paul Éluard
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| Sujet: Re: Autres poémes | |
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